Face à la crise, une gouvernance mondiale
Alors que la crise bat son plein, je trouve intéressant de publier cet article de H. Madelin. Plutôt que faire confiance à des chefs d'Etats locaux, ne faudrait-il pas mettre en place une gouvernance mondiale ?
La Croix 9 juin 2011, FORUM
En quête d’une gouvernance mondiale,
Henri Madelin, service jésuite européen
La visite de Paul VI à la FAO (ONU), en 1965, faisait directement écho à l’intuition de son prédécesseur, celle d’une nécessaire « autorité de compétence universelle » qui reste à inventer.
Le G8 rassemble huit « pays avancés » actuellement dominants dans le monde actuel (13 % de la population et 60 % du PIB mondial) mais mal remis d’une crise planétaire aux effets dramatiques. Il s’est réuni fin mai à Deauville sous présidence française. Les pays émergents se joindront à ces huit pays nantis pour dire leur mot au cours d’un G20 qui se déroulera à Cannes en novembre prochain. Ces rencontres signifient que les Occidentaux ne pèsent plus d’un poids aussi fort dans les affaires mondiales. Ils doivent composer désormais avec la montée en puissance de nouveaux pays sud-américains ou asiatiques qui redressent la tête et ne veulent plus se laisser dicter leur comportement par les dominants de jadis. Dans une mondialisation galopante, que l’on soit riche ou pauvre, le culte de la souveraineté nationale intangible et le règne du chacun pour soi ne sont plus tenables dans la durée. Une concertation politique et une visée éthique deviennent indispensables. Le développement des peuples ne peut ressembler à l’errance d’un bateau ivre. Le besoin se fait sentir de voir émerger une autorité, au-dessus des nations, ayant comme mission principale de corriger peu à peu les injustices qui grandissent dans le désordre planétaire et de parvenir à éteindre les foyers de violence qui menacent la paix mondiale sur tous les continents.
Dans sa dernière encyclique Caritas in veritate, Benoît XVI dit avec lucidité ses préoccupations en ces domaines et son espérance pour l’avenir : « Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intérieur, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une autorité politique mondiale. » (n° 67)
C’est Jean XXIII, en 1963, dans son encyclique Pacem in terris (n° 136 à 141) qui a, le premier, défini la nécessité et les contours de ce qu’il nomme une « autorité publique de compétence universelle » , puisque, « de nos jours, le bien commun universel pose des problèmes de dimensions mondiales » .
Cette nouvelle forme de gouvernance mondiale dont les papes sont en quête depuis Jean XXIII est évidemment difficile à mettre en œuvre. Il y faudra du temps et la confrontation avec des tensions redoutables : la coopération entre le local et le global ; les deux faces, vers le haut et vers le bas, de la subsidiarité ; l’efficacité et la légitimité ; les crispations nationales, souvent soupçonneuses devant l’ouverture à cette grande cause d’organisations et de citoyens du monde de plus en plus nombreux. Ceux-ci viennent de tous les continents et ont comme horizon ce que le P. Teilhard appelait prophétiquement « le sens de l’espèce humaine ». Pour faire tenir ensemble les pierres de cette nouvelle construction, le principe de subsidiarité, souligne Benoît XVI, sera d’un grand secours pour marier dynamismes nouveaux, souci des plus démunis et respect des libertés de base (n° 57 et 67).
C’est sans doute grâce au concours de quelques grandes régions plurinationales réparties sur la planète que pourra se mettre en place peu à peu cette autorité mondiale dont nous avons déjà des ébauches dans différents domaines et notamment au FMI en voie de réforme.
Force est de constater que l’Union européenne est le premier ensemble planétaire à avoir expérimenté réellement cette nouvelle forme de mondialisation. Avec plus ou moins d’intensité selon les saisons et le charisme des responsables, il y est question, selon Jacques Delors, de relever plusieurs défis : faire de l’Europe un ensemble fondé sur la paix, la compréhension mutuelle entre les peuples, un vivre-ensemble exemplaire, une solidarité effective, « une manière, à l’époque de la mondialisation, de partager les souverainetés nationales et donc une référence pour les architectes d’une gouvernance mondiale » . À côté de l’Alena nord-américaine, de l’Asean asiatique, du Mercosur sud-américain…, l’UE est l’ensemble qui reste en tête de la course par suite de ses choix audacieux au sortir de la Seconde Guerre mondiale et d’un certain savoir-faire communautaire.
Si l’Union européenne revenait sur ces acquis comme certains apprentis sorciers le désirent, ce serait une sorte de débâcle pour nos intérêts à long terme mais aussi un terrible coup de frein pour la quête actuelle de nouvelles formes de gouvernance mondiale.