On va droit dans le mur, tête baissée.
Multiplier les approches diverses, analyser les nuances des perceptions et situations religieuses, philosophiques, sociétales n’est-ce pas un bon moyen de noyer les questions dans l’analyse pour que rien ne change tout en gagnant bien sa vie ?
J’ai observé, il y a peu de temps, que les études sur la crise écologique, environnementale, économique, financière – crise politique et crise sociale, crise civilisationnelle, s’amplifiaient chaque jour. Du reste, sur les rayons des bibliothèques universitaires doivent se trouver des ouvrages bibliographiques qui établissent scientifiquement la liste raisonnée de toutes les publications. Chaque analyse menée selon leur discipline propre, philosophie, anthropologie, ethnologie, psychologie, sociologie, etc. apporte un éclairage nouveau de la position de l’homme dans la Nature. Il est, en effet, précieux, utile de connaître le sens des uns et des autres, des rapports de l’un face à l’autre. Comment définir l’humain, la terre, le monde, le cosmos, la nature, l’univers … ? Chaque civilisation apporte une réponse spécifique et il n’est pas sans intérêt de comparer les diverses anthropologies et théologies pour tenter de cerner l’avenir de l’homme face à l’actuelle crise. Quel chemin prendre entre théocentrisme, anthropocentrisme, cosmocentrisme, technocentrisme ?
Les civilisations ayant un immense respect de tout ce qui est créé au point de « voir » le Dieu créateur dans toute parcelle de matière (panthéisme) peuvent apporter leur sensibilité bienfaisante aux civilisations niant toute forme de sacrée et ne voyant dans le créé qu’un « objet » manipulable. Tout serait « terrain » exploitable par l’homme grâce aux techno-nano-sciences.
Mais, de fait, devant le constat de l’épuisement des matières premières –même si celles-ci peuvent se trouver sur une autre planète- l’intellectuel écrivain ne peut que conclure à la nécessité d’une sortie de crise. L’ethnologue se penchant sur les Indiens d’Amazonie ou sur les nomades du désert saharien et leur mode de vie façonné par la rareté, les sociologues des religions étudiant le renoncement non-violent du jaïnisme peuvent multiplier compte-rendu, colloque, publication savante, si la question n’est pas abordée politiquement, rien ne se modifiera.
Autrement dit, j’aimerais bien visiter une bibliothèque spécialisée dans les domaines anthropologiques et théologiques de l’environnement où toutes les disciplines seraient réunies et dûment classées. Avec admiration, je m’écrirais : combien vaste, profonde est la science des hommes sur tous ces sujets ! Que de kilomètres de livres ! Et, j’aboutirais à cette conclusion : à quoi servent tous ces ouvrages, souvent difficiles à comprendre ? Rien ne change dans nos comportements !
Justement, multiplier les approches diverses, analyser les nuances des perceptions et situations religieuses, philosophiques, sociétales n’est-ce pas un bon moyen de noyer les questions dans l’analyse pour que rien ne change tout en gagnant bien sa vie ?
L’analyse universitaire devient l’outil du « durable ».
« Ils ont des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas ».
Le lieu où je vis, les pentes de la croix-rousse, est marqué par la Terreur, l’Empire, 1 et 2, la révolte des Canuts, la Restauration, la République (3ème), la séparation de l’Église et de l’État. Il y a là, une belle page d’Histoire visible sur les murs en quelques kilomètres carrés. Ouvriers et Industriels s’opposaient. L’un voulait défendre son droit à vivre dignement, l’autre, soutenu par la Préfecture, son enrichissement personnel. Entre républicain et royaliste quel était le meilleur mode de gouvernement ?
Les catholiques de cette époque ne pouvaient imaginer d’autres pouvoirs que le royal. La vérité politique résidait dans la théocratie, le pouvoir sacré du roi étant la garantie du bien commun. Ainsi en témoignent les sermons de carême des évêques du début du XIXe siècle. Le conflit est immense entre l’Église et la République. On comprend que celle-ci ne trouva pas d’autres voies que celles de la lutte contre le pouvoir clérical. L’appel de Léon XIII, le ralliement à la république, ne fut pas accepté sans peine par les catholiques. Enfin, en ce domaine, je devrais m’effacer devant les historiens.
Je signale cet épisode douloureux de l’Histoire de France pour indiquer combien nous pouvons être aveuglés par une idéologie (théologie) communément admise. La démocratie ne peut que dépendre des œuvres du démon, le mal absolu, pensait-on. Pouvons-nous imaginer aujourd’hui l’effort considérable qui était demandé à des catholiques devant se « convertir » à l’esprit républicain ? Attachée jusqu’à la mort à une conviction, la monarchie, comment accepter d’autres types de gestion du monde ? Aveuglés par des croyances en un pouvoir divin déposé en un médiateur humain, le roi, comment s’ouvrir à la lumière de la Vérité ?
L’aveuglement du XIXe siècle me semble identique à celui des XXe et XXIe siècles. Certes, « l’objet » change. Le « roi » n’est plus. A sa place, il y a la puissance des sciences et des techniques. On croit que, grâce aux progrès techniques -nouvelles divinités-, tous les problèmes rencontrés seront résolus. La terre n’est qu’un outil au service de l’homme. Il suffit de l’exploiter. Certes, on voit parfaitement les méfaits de ce mode de comportement, de cette confiance aveugle envers la Science. Alors, on corrige, on redresse, on comble les dégâts. On moralise. Cela donne le développement durable, l’économie durable, la croissance douce, l’écologie verte, etc…
Au XIXe siècle, on voyait les dégâts de l’industrie sur les ouvriers. Cela a donné l’Œuvre sociale pour soigner les inévitables méfaits de l’industrialisation.
Comme jadis, nous n’arrivions pas à abandonner les perspectives monarchistes et paternalistes, aujourd’hui nous sommes fidéistes devant les idéologies matérialistes, progressistes et consuméristes des techno-sciences. Nous croyons obscurément en la toute-puissance du « Progrès ».
Comme jadis, nous n’imaginions pas d’autres issus que l’exploitation des terres coloniales, aujourd’hui nous ne jurons que par la puissance de l’économie, du pouvoir du capital. La crise financière n’a même pas servi d’avertissement suffisant pour le long terme.
Comme jadis on fonçait tête baissée dans la fin de la monarchie, actuellement on court, yeux clos, vers la chute de la croissance sans limites, alors qu’il serait mieux de prévoir une autre mode de gestion des ressources naturelles, humaines et sociales.
Que faire pour changer ? Pour convertir nos regards sur la réalité ?
Les intellectuelles études scientifiques sont utiles, mais insuffisantes. Avant d’avoir fait le tour complet des complexes questions écologiques, ne devons-nous pas nous sentir engager à poser un acte militant ? Militance politique et militance chrétienne ? Conversion.