Affrontons les obstacles pour donner aux jeunes migrants (à Denko Sissoko) un lieu à vivre même non conforme aux normes en vigueur
Au cours de la journée organisée par la Coordination Urgence Migrants, dont j’ai beaucoup parlé ces derniers jours, j’ai entendu des exposés à propos des mineurs isolés. Très souvent on les accuse de mentir sur leur âge et des tests osseux sont pratiqués sur eux afin de prouver qu’ils sont bien plus vieux qu’ils ne le disent. Donc, ils ne doivent pas bénéficier de tous les avantages proposés aux mineurs.
Déclarés par la justice, comme adultes, ces jeunes errent dans les rues, sans aident, sans cadres…
Jadis
Antoine Chevrier, dans les années 1860, recevait des jeunes que les parents émigrés des campagnes des Alpes ou d’Auvergne ne pouvaient nourrir et éduquer. Avec ses amis, Antoine loua puis acheta une grande salle, mal commode et sans confort, mais mettant à l’abri des intempéries. En plus de loger, vêtir et nourrir, il organisait pour ces jeunes un minimum de scolarisation afin qu’ils se débrouillent seul dans la vie. En quittant « l’école » du Prado, nom de la salle de bal où ils vivaient, ces jeunes recevaient un billet qui prouvait leur capacité à tenir un emploi. Cette recommandation facilitait l’obtention d’un travail.
Aujourd’hui
Je me demande, si nous ne devrions pas faire de même aujourd’hui. Acheter une usine désaffectée, par exemple, et l’aménager en « loft » avec le minimum requis par les lois de sécurité en vigueur. Ces dortoirs et salles à vivre ne seraient pas bien confortables. Mais ne seraient-ils pas l’indispensable pour que ces jeunes s’adaptent à leur nouvelle vie, reçoivent un minimum de formation, deviennent autonome. Est-il humain de les forcer à la clandestinité ou de les renvoyer dans leur pays d’origine où ils n’ont pas de quoi vivre ?
Organiser un tel accueil de jeunes migrants isolés, place sans aucun doute dans des actions et engagements en marge de la loi. Les bâtiments occupés ne seront pas aux normes officielles de sécurité. Ne nous revient-il pas d’aborder de front cette situation pour que respecter les droits fondamentaux des enfants, donc de l’homme ?
Antoine Chevrier avait de bons rapports avec la police, la préfecture. Sa correspondance le prouve. Comment établir avec l’Autorité de bons rapports ? Comment éviter que l’on puisse se comporter craintivement disant cela n’est pas possible parce que la loi ne le permet pas, parce que, si on agit ainsi, on va couper les subventions ou être accusé de l’étrange délit de solidarité ?
Au moment de mettre en ligne cette page, je reçois de RESF ce triste communiqué qui concrétise, bien tristement ma pensée.
Communiqué de presse du lundi 9 janvier 2017
D’Alan Kurdi à Denko Sissoko, les ravages mortels d’une politique migratoire inhumaine
Tout le monde a dans les yeux le petit corps d’Alan sur une plage de Turquie le 2 septembre 2015. Vendredi 6 janvier 2017, c’est à Châlons-en-Champagne, sur le bitume du trottoir, au pied du foyer Bellevue, foyer d’accueil des Mineurs Isolés Etrangers, que le corps sans vie du jeune Denko âgé de 16 ans, a été ramassé. Selon ses amis, il venait de se jeter du 8e étage pour échapper à la police dont il pensait qu’elle venait le chercher.
L’un était Syrien, l’autre Malien. Leurs points communs ? C’étaient des enfants qui avaient fui un pays dans lequel ils n’avaient pas d’avenir pour vivre en sécurité ici au terme d’un voyage difficile. Tous deux viennent grossir le nombre des victimes innocentes de la politique migratoire inhumaine orchestrée par les institutions de notre pays et de notre continent.
Il était arrivé en France en octobre 2016, après un voyage long et périlleux en partance du Mali en passant par la Libye et l’Italie ; il aimait rire, bavarder, écouter de la musique africaine. Il a attendu 1 an et demi en Italie de réunir l’argent nécessaire pour rejoindre la France. C’était son vœu. Hélas ! Il a encore attendu 2 mois et demi à Châlons dans les services de la protection de l’enfance qu’on l’évalue puis qu’on lui signifie que sa minorité n’était pas reconnue et qu’il ne serait pas pris en charge. Il l’avait appris la veille. Ne sachant pas où aller, il n’aurait pas voulu quitter le foyer. Dans ces cas-là, la police est sollicitée…
Ses camarades sont formels : Denko n’était pas malade, ni drogué, ni fou. Son geste n’est pas celui d’un dépressif. Ce n’était pas non plus un criminel, ni un malfrat, il n’avait rien à se reprocher. Il s’est jeté du 8e parce que, comme un jeune de 16 ans, moralement très structuré et qui a, en outre, assimilé l’impératif et la mission de réussir en France, il n’aurait pas supporté l’idée humiliante qu’on vienne l’arrêter et le mettre en prison.
Ce drame met en lumière la tragédie que vivent ces jeunes étrangers livrés au tamis de l’évaluation et de la pression institutionnelle, maltraités, suspectés, dénigrés, parce que la France ne veut pas les accueillir. L’État se dédouane de ses responsabilités, les conseils départementaux trient et rejettent par souci d’économies budgétaires. Les jeunes se retrouvent à la rue, errent de ville en ville, sans avenir, et ils en meurent. Et même quand ils sont pris en charge, l’accompagnement est insuffisant, la suspicion continue et l’angoisse du lendemain n’est jamais levée tout à fait. L’État et le Conseil Départemental sont coupables de non-assistance à jeunesse en danger.
Ils espéraient d’autres horizons. Nous espérons pour eux d’autres perspectives, ils ont franchi des mers et leur maturité, leur courage, leur volonté de vivre ici, sont déjà un cadeau pour la France !
L’heure est à la peine pour tous ces jeunes venus d’ailleurs qui ont assisté au drame, et nous partageons leur deuil. Mercredi 11 janvier aura lieu une marche silencieuse en hommage à celui que tout le monde appelait Sissoko. Le rendez-vous est fixé à 15 heures, rue Carnot, devant le conseil départemental de la Marne. Nous invitons tous ceux qui ne se résignent pas à ce que la politique migratoire tue des enfants à nous rejoindre.